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Un coach, des joueurs mineurs et des limites floues


Credit…Ed Alcock/eyevine, via Redux

Un coach, des joueurs mineurs et des limites floues

Des SMS inappropriés. Des pesées sans vêtements. Des invitations à passer la nuit chez lui. Un encadrant renvoyé par la Fédération française de football pour ses contacts avec un joueur adolescent continue de travailler dans le milieu. La FFF dit qu’elle n’y peut rien.

Credit…Ed Alcock/eyevine, via Redux

By Tariq Panja and

  • Dec. 2, 2020Updated 6:01 p.m. ET
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À la Fédération française de football, un responsable pédagogique a fait l’objet d’une enquête après avoir envoyé des dizaines de SMS affectueux, voire dérangeants, à un garçon de 13 ans. Mais il n’a été démis de ses fonctions qu’après avoir invité le garçon à déjeuner.

Dans son club suivant, le même homme a éveillé des soupçons après que la mère d’un jeune joueur s’est inquiétée et a contacté un responsable de l’équipe pour demander s’il était normal que les garçons soient pesés sans sous-vêtements. Il n’a pourtant été licencié qu’après avoir été pris en train de tenter, de concert avec un agent, des transferts de certains joueurs à d’autres clubs.

Lorsqu’il est réapparu cette année comme directeur de l’école de football d’une autre équipe française, deux personnes au fait de son comportement passé ont alerté le président du club. Mais la Fédération française de football, ou FFF, qui l’avait autrefois licencié de son poste au centre national d’entraînement pour ses interactions inappropriées avec un jeune joueur, a gardé le silence.

Au lieu de cela, ces huit dernières années, la FFF a toléré que cet ancien employé passe tranquillement d’un poste à l’autre, et conserve ses diplômes qui lui facilitent l’accès à différents emplois au sein de ce sport. Ses coordonnées restent à la disposition d’employeurs potentiels sur le site web de la FFF.

L’homme en question, David San José, n’a fait l’objet d’aucune plainte officielle pour abus sexuel ou contact physique inapproprié avec un enfant. Mais le fait qu’il ait pu continuer à travailler avec de jeunes athlètes malgré des signaux d’alerte soulève de nouvelles questions sur l’incapacité, ou la réticence, des organisations sportives à mener des enquêtes sérieuses sur l’attitude d’adultes responsables de la garde d’enfants.

Ce manque de supervision a conduit à des scandales et à des poursuites pénales ces dernières années, dans des affaires impliquant des gymnastes aux États-Unis, des footballeurs en Grande-Bretagne et des patineurs artistiques et des nageurs en France. Dans la quasi-totalité des cas, les enquêtes ont révélé que les rumeurs et les allégations de mauvaise conduite et d’abus étaient bien connues mais qu’elles étaient demeurées sans suite.

Contacté pour évoquer son séjour au centre de formation de Clairefontaine et son parcours professionnel depuis son départ du centre, San José a refusé d’en parler. Mais d’autres personnes, dont d’anciens entraîneurs, dirigeants et employés de la Fédération, ainsi que 10 anciens coéquipiers du garçon qui avait reçu les SMS, ont accepté d’être interviewés.

“Je ne comprends toujours pas comment San José peut travailler avec des enfants après ce qu’il s’est passé à Clairefontaine”, assure Gérard Prêcheur, l’ancien directeur du Centre. “Je ne comprends pas comment il est encore dans le football.”

Selon les coéquipiers et la mère du garçon, les SMS arrivaient souvent en rafale: des bonjours, des invitations, des déclarations d’amour. Ils déroutaient le garçon de 13 ans qui les recevait. Pourquoi un adulte, et surtout un encadrant dans l’une des fédérations de football les plus prestigieuses au monde, lui prêtait-il tant d’attention?

Pendant un certain temps, le garçon — qui a maintenant 23 ans et dont l’identité n’est pas révélée pour protéger sa vie privée — n’a rien dit de ces messages. Il savait qu’il avait de la chance d’être parmi les deux douzaines de garçons séléctionnés pour vivre et s’entraîner au Centre National du Football de Clairefontaine, qui est peut-être la meilleure école de football au monde. Il savait que le centre avait été la rampe de lancement de dizaines de joueurs professionnels français du plus haut niveau. Alors plutôt que de révéler ces messages dérangeants, le garçon n’en a parlé ni à ses coéquipiers, ni à ses entraîneurs et ni à ses parents.

Le premier soupçon que quelque chose ne tournait pas rond est venu en 2012 lors d’un voyage en autocar. L’équipe d’adolescents prometteurs était d’une humeur typiquement turbulente et taquine lorsque Tiago Escorza, l’un des jeunes joueurs, s’est emparé du portable de son coéquipier. Escorza, qui a maintenant 23 ans, se rappelle avoir vu des SMS de l’instructeur au garçon lui déclarant qu’il l’aimait. Sa réaction a été d’éclater de rire — puis de lire les messages à voix haute aux autres joueurs.

“On lui disait tous : ‘C’est ton daron ou quoi ?’ ”, se rappelle Hedi Mehnaoui, un gardien de but également présent ce jour-là. À l’orée de l’adolescence, a-t-il dit lors d’une interview récente, ils n’avaient pas la maturité nécessaire pour mesurer l’impact que les messages pouvaient avoir sur le garçon, ni les motifs de San José pour les envoyer.

Avec le recul, cependant, Mehnaoui se souvient que son ami parlait souvent de quitter l’académie. “Il n’a jamais vraiment expliqué pourquoi, ce n’était pas quelqu’un qui parlait beaucoup”, dit Mehnaoui, qui partageait la chambre du garçon. “Je ne voulais pas le déranger non plus.”

La mère du garçon a découvert l’existence des messages quelques mois plus tard. Elle est tombée sur un SMS de San José en allumant le téléphone portable neuf qu’elle avait acheté pour son fils.

Son mari était furieux, dit-elle, mais comme il souffrait d’une maladie grave, elle a décidé de confronter elle-même San José. Elle lui a remis une lettre à Clairefontaine dans laquelle elle lui intimait non seulement de cesser ses messages à son fils mais aussi de ne plus jamais se retrouver seul avec lui. San José, dit-elle, l’a désarçonnée en lui expliquant que dans sa culture — il est d’origine espagnole — il est habituel de dire des choses comme “je t’aime”, même à des personnes extérieures à sa propre famille.

L’affaire se serait peut–être s’arrêtée là si deux surveillants de l’équipe du garçon n’avaient pas entendu une conversation, un soir, lors d’une inspection de routine. On leur a fait voir certains des messages — transmis à deux autres garçons — en expliquant qu’ils étaient de San José. “J’en ai marre que ce soit toujours moi qui te dis je t’aime”, y lisait-on, selon l’un des gardiens.

Le lendemain matin, l’un d’eux a parlé à l’entraîneur des garçons, Philippe Bretaud, ainsi qu’à Prêcheur, le directeur de Clairefontaine, de ce qu’il avait découvert. La première réaction de Prêcheur, qui a quitté Clairefontaine en 2014, a été l’indignation. “Je suis devenu fou”, dit-il.

Il affirme avoir immédiatement appelé les parents du garçon et conseillé de porter plainte, mais qu’ils avaient refusé, craignant que cela ne compromette les perspectives de carrière de leur fils dans le football. Prêcheur a ensuite montré les messages à son patron, François Blaquart, alors directeur technique du football français. “Je me souviens qu’il s’agissait de messages amoureux, totalement inadmissibles vis-à-vis d’un enfant”, dit Blaquart.

Blaquart a suspendu San José, qui était responsable de l’éducation non footballistique des joueurs au centre, le temps des investigations, et lui a ordonné de quitter Clairefontaine, dit-il. Suivant les directives établies, il a ensuite transmis le dossier au département des ressources humaines de la FFF.

La Fédération affirme avoir procédé à une enquête approfondie concernant les accusations, mené de multiples entretiens et fait consulter un psychologue au garçon. Mais elle assure aussi n’avoir trouvé aucune preuve de messages de nature sexuelle ou romantique entre San José et le garçon, et qu’elle ne pouvait en faire davantage quant aux accusations.

“Aucun élément n’était de nature à justifier une dénonciation de la Fédération aux autorités judiciaires, les faits mentionnés ne pouvant caractériser une infraction pénale”, écrit Florence Hardouin, directrice générale de l’organisation, dans des réponses envoyées par e-mail aux questions du New York Times en novembre. Hardouin ajoute que la famille du joueur n’a pas signalé cette affaire aux autorités ni déposé de plainte. (La Fédération a néanmoins licencié San José pour faute après avoir constaté qu’il avait envoyé un message direct au garçon et l’avait une fois invité dans un restaurant McDonald’s, un comportement qui était, selon Hardouin, “non confirme à ses obligations professionnelles.”)

Mercredi, après la publication de cet article, une porte-parole du ministère des Sports a fait savoir que le ministère allait ordonner l’ouverture de sa propre enquête sur l’affaire.

Credit…Ed Alcock/eyevine, via, Redux

Plusieurs personnes présentes à l’époque mettent en doute la rigueur de l’enquête de la Fédération, dont certains des coéquipiers du garçon, sa mère ainsi que d’anciens hauts dirigeants de Clairefontaine, dont Prêcheur, le directeur du centre de formation, qui déclare n’avoir jamais été interrogé sur ce qu’il savait.

Mehnaoui, le gardien de but qui partageait la chambre du garçon, dit de même. “Si la Fédération dit qu’elle nous a interrogés aujourd’hui, c’est un mensonge”, dit-il. “Personne ne m’a jamais parlé. Personne.”

Joint par messagerie LinkedIn après plusieurs tentatives de contact par téléphone et par SMS pour évoquer son séjour à Clairefontaine et sa carrière ultérieure, San José a décliné tout commentaire. Il a ensuite bloqué toute nouvelle tentative de contact sur la plateforme. Peu après, il désactivait son profil.

Ian Ackley, qui a subi des abus de la part d’un ancien entraîneur de football britannique de haut niveau, dirige aujourd’hui un groupe qui soutient les victimes d’expériences similaires au sein du football anglais. Il dit que les cas potentiels de maltraitance sont souvent résolus dans la discrétion et qu’on fait en sorte qu’ils attirent un minimum d’attention.

“Mais cela induit un problème ailleurs”, dit Ackley, qui a été maltraité sur près de quatre ans, jusqu’à l’âge de 13 ans, par un entraîneur de Manchester City. “Ils veulent préserver leur réputation d’une enquête publique ou d’une investigation, et ils ne veulent pas décourager les gens.”

Sans constat d’abus ou de harcèlement, San José a été autorisé à quitter discrètement son poste, ses diplômes restant intacts. Selon la FFF, ces diplômes permettent à San José de travailler comme bénévole. La loi française ne prévoit pas de contrôle approfondi des antécédents des entraîneurs bénévoles.

L’un des postes suivants de San José était à l’Olympique de Valence, un club qui joue dans les échelons inférieurs du football français, à environ une heure de route au sud de Lyon. Malik Vivant, le directeur sportif du club, se rappelle avoir été surpris qu’une personne aussi qualifiée que San José soit disponible. Compte tenu de l’expérience de San José à Clairefontaine, engager une personne de son pédigrée pour entraîner l’équipe des moins de 15 ans de Valence était un coup de maître. Mais quelques mois plus tard, Vivant s’est mis à avoir des soupçons.

Ils ont commencé quand la mère d’un jeune joueur, inquiète, a contacté le trésorier du club pour demander pourquoi il était nécessaire que les joueurs soient nus pour la pesée. D’autres alarmes ont retenti quand les responsables du club ont découvert qu’un jeune joueur avait passé la nuit chez San José.

Prêcheur, l’ancien directeur de Clairefontaine, dit qu’en apprenant que San José travaillait à Valence, il a contacté les responsables du club pour les informer de ce qui s’était passé dans son centre. Valence a fini par renvoyer San José, mais pas pour ses interactions avec les jeunes joueurs ; il a été licencié après que le club a découvert qu’il travaillait avec un agent pour présenter ses joueurs à d’autres équipes. “Comme j’avais déjà des doutes, je n’ai pas hésité et je l’ai viré pour faute grave”, dit Vivant.

San José est cependant demeuré dans la région, travaillant dans les écoles et, plus récemment, au sein d’une autre équipe amateur, le F.C. Rhône-Vallées. Vivant et Prêcheur affirment avoir tous deux mis en garde le club contre l’embauche de San José et parlé à ses responsables des incidents qui s’étaient produits à Clairefontaine puis à Valence.

Le président du club, Yann Jacquier, reconnaît avoir reçu des appels d’avertissement contre l’emploi de M. San José, y compris de la part de Prêcheur, mais qu’il n’avait pas pu “avoir le fin mot de l’histoire”. San José, dit-il, lui assurait que l’échange de messages affectueux avec le garçon de Clairefontaine n’était qu’un va-et-vient amical.

San José a également persuadé la mère du garçon d’écrire une lettre au F.C. Rhône-Vallées pour leur confirmer qu’il n’avait jamais eu de contact physique avec son fils. Elle l’a fait en juillet.

“On a reçu une lettre de la maman nous disant qu’il n’y a pas eu d’agression physique sur son fils, mais c’est tout”, dit Jacquier. “Je n’ai jamais été au courant des SMS, jamais. J’ai été trompé. Il m’a menti, il nous a menti, et je suis responsable. Je ressens de la honte.”

Le club a fait savoir la semaine dernière qu’il mettait fin au contrat de San José.

La FFF continue cependant d’insister qu’elle n’a rien fait de mal et que, sans preuve, elle n’a pas qualité pour interdire à San José de travailler dans le football ou avec des enfants. (La Fédération lui a accordé l’une de ses licences d’entraîneur de plus haut niveau en 2017). Mais le ministère des Sports, ébranlé par des scandales d’abus sexuels au sein des fédérations de natation et de patinage artistique, a fait savoir dans un communiqué au New York Times que ses directives l’obligent à examiner les accusations — ainsi que les mesures prises par la fédération nationale de football.

Tandis que l’enquête suit son cours, d’autres instances procèdent à un réexamen douloureux de leurs décisions passées. La FFF a engagé un consultant en communication de crise peu après avoir reçu des questions du New York Times au sujet de San José. Prêcheur se déclare toujours indigné par ce qu’il considère comme l’échec de la Fédération à protéger un jeune joueur. Le garçon a quitté le milieu du football, et ses anciens coéquipiers regrettent ne pas avoir fait davantage pour l’aider. La mère du garçon, qui, pour préserver son rêve de carrière de footballeur, avait décidé de ne pas faire de vagues, regrette amèrement sa décision.

Huit ans après sa découverte du message sur le téléphone de son fils, elle dit qu’elle aurait mieux fait de prévenir la police.

Elian Peltier a contribué à ce reportage.

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Source: Soccer - nytimes.com


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